jeudi 15 mars 2007

Pour le 24 : Henri Michaux et Francis Ponge

L'animal mange-serrure

Dans les couloirs de l'hôtel, je le rencontrai qui se promenait avec un petit animal mange-serrure.
Il posait le petit animal sur son coude, alors l'animal était content et mangeait la serrure.
Puis il allait plus loin et l'animal était content et une autre serrure était mangée. Et ainsi de plusieurs et ainsi de quantité. L'homme se promenait comme quelqu'un dont le "chez soi" est devenu considérable. Dès qu'il poussait une porte une nouvelle vie commençait pour lui.
Mais le petit animal était si affamé de serrures que son maître devait bientôt ressortir à la recherche d'autres effractions, si bien qu'il trouvait peu de repos.
Je ne voulus pas faire alliance avec cet homme, je lui dis que moi ce que je préférais dans la vie, était de sortir. Il eut un grand regard blanc. Nous n'étions pas du même bord, voilà tout, sans quoi j'aurais fait alliance avec lui. Il me plaisait sans me convenir.

Extrait de Lointain intérieur, 1938

Henri Michaux, Sans titre , 1965
Mon Roi
Dans ma nuit, j'assiège mon Roi, je me lève progressivement et je lui tords le cou.
Il reprend des forces, je reviens sur lui, et lui tords le cou une fois de plus.
Je le secoue, et le secoue comme un vieux prunier, et sa couronne tremble sur sa tête.
Et pourtant, c'est mon Roi, je le sais et il le sait, et c'est bien sûr que je suis à son service.
Cependant dan sla nuit, la passion de mes mains l'étrangle sans répit. Point de lâcheté pourtant, j'arrive les mains nues et je serre son cou de Roi.
Et c'est mon Roi, que j'étrangle vainement depuis si longtemps dans les secret de ma petite chambre ; sa face d'abord bleuie, après peu de temps redevient naturelle, et sa tête se relève, chaque nuit, chaque nuit.
Dans le secret de ma petite chambre, je pète à la figure de mon Roi. Ensuite j'éclate de rire. Il essaie de montrer un front serein, et lavé de toute injure. Mais je lui pète sans discontinuer à la figure, sauf pour me retourner vers lui et éclater de rire à sa noble face, qui essaie de garder de la majesté.
C'est ainsi que je me conduis avec lui ; commencement sans fin de ma vie obscure.
Et maintenant je le renverse par terre, et m'assied sur sa figure. Son auguste figure disparaît ; mon pantalon rude aux tâches d'huile, et mon derrière -puisque enfin c'est son nom- se tiennent sans embarras sur cette face faite pour régner.
Et je ne me gêne pas, ah non, pour me tourner à gauche et à droite, quand il me plaît et plus même, sans m'occuper de ses yeux ou de son nez qui pourrait être dans le chemin. Je ne m'en vais qu'une fois lassé d'être assis.
Et si je me retourne, sa face imperturbable règne, toujours.
Je le gifle, je le gifle, je le mouche ensuite par dérision comme un enfant.
Cependant il est bien évident que c'est lui le Roi, et moi son sujet, son unique sujet.
A coup de pied dans le cul, je le chasse de ma chambre. je le couvre de déchets de cuisine et d'ordures. Je lui casse la vaisselle dans les jambes. Je lui bourre les oreille de basses et pertinentes injures, pour bien l'atteindre à la fois profondément et honteusement, de calomnies à la Napolitaine particulièrement crasseuses et circonstanciées, et dont le seul énoncé est une souillure dont on ne peut plus se défaire, habit ignoble fait sur mesure : le purin vraiment de l'existence.
Eh bien il me faut recommencer le lendemain.
Il est revenu ; il est là. Il est toujours là. Il ne peut pas déguerpir pour de bon. Il doit m'imposer sa maudite présence royale dans ma chambre déjà si petite. (...)

Extrait de La Nuit remue, 1935

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