samedi 17 février 2007

Sur "le Lac"

D'après WikipediaLe lac du Bourget, une gravure de 1864
Situation géographique


Le Chant du styrène, commentaire de Raymond Queneau pour le film commandé par Péchiney et réalisé par Alain Resnais (1957)

Ô temps, suspends ton bol, ô matière plastique
D'où viens-tu ? Qui es-tu ? Et qu'est-ce qui explique
Tes rares qualités ? De quoi donc es-tu fait ?
Quelle est ton origine ? En partant d'un objet
Retrouvons ses aïeux! Qu'à l'envers se déroule
Son histoire exemplaire. Voici d'abord, le moule.
Incluant la matrice, être mystérieux,
Il engendre le bol ou bien tout ce qu'on veut.
Mais le moule est lui-même inclus dans une presse
Qui injecte la pâte et conforme la pièce,
Ce qui présente donc le très grand avantage
D'avoir, l'objet fini sans autre façonnage.
Le moule coûte cher ! c'est un inconvénient.
Mais il peut resservir sur d'autres continents.
(suite ici)

jeudi 15 février 2007

Cocteau, Breton, Cendrars, Desnos

Vous pouvez écouter Jean Cocteau lire "Mauvaise Compagne" à cette adresse :
http://www.larevuedesressources.org/article.php3?id_article=534

Vous pouvez aussi écouter Blaise Cendrars lire Îles
et André Breton lire L'Union libre
Union libre

Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d'éclairs de chaleur
A la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de
dernière grandeur
Aux dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche
A la langue d'ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d'hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant
Aux sourcils de bord de nid d'hirondelle
Ma femme aux tempes d'ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d'allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d'as de coeur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d'écume de mer et d'écluse
Et de mélange du blé et du moulin
Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d'horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d'initiales
Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent
Ma femme au cou d'orge imperlé
Ma femme à la gorge de Val d'or
De rendez-vous dans le lit même du torrent
Aux seins de nuit
Ma femme aux seins de taupinière marine
Ma femme aux seins de creuset du rubis
Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma femme au ventre de dépliement d'éventail des jours
Au ventre de griffe géante
Ma femme au dos d'oiseau qui fuit vertical
Au dos de vif-argent
Au dos de lumière
A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et de chute d'un verre dans lequel on vient de boire
Ma femme aux hanches de nacelle
Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
Et de tiges de plumes de paon blanc
De balance insensible
Ma femme aux fesses de grès et d'amiante
Ma femme aux fesses de dos de cygne
Ma femme aux fesses de printemps
Au sexe de glaïeul
Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque
Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens
Ma femme au sexe de miroir
Ma femme aux yeux pleins de larmes
Aux yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée
Ma femme aux yeux de savane
Ma femme aux yeux d'eau pour boire en prison
Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
Aux yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre et de feu.


André Breton, Clair de terre (1931)

jeudi 8 février 2007

Pour le cours du 17 février

On abordera le Romantisme, avec Le Lac d'Alphonse de Lamartine.
Vous pouvez écouter le poème dit par Jacques Aumont ici.

Le Lac

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?

O lac! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.

Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence,
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence

Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :

O temps, suspends ton vol! et vous, heures propices
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !

Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent,
Oubliez les heureux.

Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente; et l'aurore
Va dissiper la nuit.

Aimons donc, aimons donc! de l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
Il coule, et nous passons !

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?

Eh quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi! passés pour jamais ? quoi! tout entiers perdus ?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus
?

Eternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?

O lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.

Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés.

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise : Ils ont aimé !


Alphonse de LAMARTINE,
Méditations poétiques
(1820)

lundi 5 février 2007

Pour le cours du 10 février

Louis Aragon (extrait des Yeux d'Elsa, publié en 1942)
C

J'ai traversé les ponts de Cé
C'est là que tout a commencé

Une chanson des temps passés
Parle d'un chevalier blessé

D'une rose sur la chaussée
Et d'un corsage délacé

Du château d'un duc insensé
Et des cygnes dans les fossés

De la prairie où vient danser
Une éternelle fiancée

Et j'ai bu comme un lait glacé
Le long lai des gloires faussées

La Loire emporte mes pensées
Avec les voitures versées

Et les armes désamorcées
Et les larmes effacées

Ô ma France ô ma délaissée
J'ai traversé les ponts de Cé

Apollinaire (1880-1918).
Ce poème est intitulé Montparnasse publié pour la première fois en en décembre 1913. Il a ensuite été inséré dans le recueil Il y a, recueil posthume publié en 1925. D'après l'édition de la Pléiade, il aurait été écrit vers 1911-1912 à l'époque où Apollinaire passait beaucoup de ses dimanches à Garches chez Gabrielle Picabia.

Ô porte de l'hôtel avec deux plantes vertes
Vertes qui jamais
Ne porteront de fleurs
Où sont mes fruits? Où me planté-je?
Ô porte de l'hôtel un ange est devant toi
Distribuant des prospectus
On n'a jamais si bien défendu la vertu
Donnez-moi pour toujours une chambre à la semaine
Ange barbu vous êtes en réalité
Un poète lyrique d'Allemagne
Qui voulez connaître Paris
Vous connaissez de son pavé
Ces raies sur lesquelles il ne faut pas que l'on marche
Et vous rêvez
D'aller passer votre Dimanche à Garches
Il fait un peu lourd et vos cheveux sont longs
Ô bon petit poète un peu bête et trop blond
Vos yeux ressemblent tant à ces deux grands ballons
Qui s'en vont dans l'air pur
À l'aventure.

Traduction anglaise :
Oh hotel door, with your two green plants
which will never
bear any flowers,
say: Where are my fruits? Where am I planting myself?
Hotel door, an angel stands outside you
handing out leaflets
(virtue has never been so well defended!).
Give me in perpetuity a room at the weekly rate.
Oh bearded angel, you are really
a lyric poet from Germany
who wants to get acquainted with Paris.
You know that between its paving-stones
there are lines which one must not step on.
And you dream
of spending Sunday at a mansion out of town.
The weather is a bit oppressive and your hair is long;
oh good little poet, you're rather stupid and too blond.
Your eyes look so much like those two big balloons
floating off in the pure air
wherever chance takes them...

(Traduction trouvée sur http://www.recmusic.org/lieder/get_text.html?TextId=1889)