jeudi 22 mars 2007

Pour le 31 mars : Jacques Réda

Voici deux poèmes de Jacques Réda que j'ai pris sur un site canadien, extraits de L'Incorrigible (Gallimard, 1995) et sous-titré Poésies itinérantes et familières (1988-1992)

JANVIER

Ce que j'aime en hiver, c'est l'élan nu des branches
Contre un ciel sombre ou bien à peine lumineux
Où le jour assourdit encore ses nuances
En les mêlant de gris pâles, fuligineux,
Pour faire avec ce noir un saisissant contraste.
On imagine une écriture au sens secret
Dont l'encre indélébile imprime sur le chaste
Horizon le poème obscur de la forêt.
Mais ce n'est qu'une vieille image. Une autre encore,
De croire que la branche inerte, sans couleur,
Se dresse comme un bras de malheureux implore
Et se tord sous le vent pour dire sa douleur.
En vérité l'hiver est la saison parfaite
Où chaque branche emplit la forme exactement
D'une branche; rien d'autre. Et, fixe, elle projette
Sa présence accomplie entre le fond dormant
De l'espace et le flot sans rumeur des nuages.
Non: pas même un élan, ni la tranquillité;
Aucun enseignement caché, pas de présages -
Mais là, droite dans l'air qui semble inhabité,
Pur comme on l'est parfois d'espérance ou d'images.



Jacques Réda
photo : Frédéric Batier


LE CHARPENTIER

Ce poème s'écrit sous l'oeil d'un charpentier
Qui s'active au sommet de la maison voisine
Avec des bruits de clous, de brosse et de mortier.
Peut-être me voit-il (et la petite usine

Que font ma cigarette, un crayon, la moitié
D'une feuille où ma main hésitante dessine)
Comme un échantillon d'un étrange métier
Qu'on exerce immobile au fond de sa cuisine.

À chacun son domaine. Il faut dire pourtant
Que, du sien, mon travail n'est pas aussi distant
Qu'il peut le croire: lui, répare une toiture

Tuile à tuile, et moi mot à mot je me bâtis
Une de ces maisons légères d'écriture
Dont je sors volontiers, laissant là mes outils,

Pour aller respirer un peu dans la nature.

dimanche 18 mars 2007

En marge du 31 mars, trois poèmes d'Eugène Guillevic

Oui, l'eau coule et l'arbre attend.

Elle coule au creux de la terre,
Elle coule dans la chair de l'arbre.

Et l'arbre attend.

Terraquès. © éd. Gallimard
_____________________
Le ruisseau coule
Dans la terre fraîche.

Il sait
Comme les pierres sont dures.
Il connaît le goût
De la terre.

Terraquès © éd. Gallimard
_____________________
L'arbre,
on a beau le regarder,

On a beau vouloir:
On n'est pas pareil.

C'est plutôt dommage.

Les chansons d'Antonin Blond © éd. Gallimard

Guillevic, ou la tentation du haïku

Pour le 31 mars : Jacques Réda et Philippe Jaccottet

Philippe Jaccottet

« Sois tranquille, cela viendra ! »

Sois tranquille, cela viendra ! Tu te rapproches,
tu brûles ! Car le mot qui sera à la fin
du poème, plus que le premier sera proche
de ta mort, qui ne s'arrête pas en chemin.

Ne crois pas qu'elle aille s'endormir sous des branches
ou reprendre souffle pendant que tu écris.
Même quand tu bois à la bouche qui étanche
la pire soif, la douce bouche avec ses cris

doux, même quand tu serres avec force le noeud
de vos quatre bras pour être bien immobiles
dans la brûlante obscurité de vos cheveux,

elle vient, Dieu sait par quels détours, vers vous deux,
de très loin ou déjà tout près, mais sois tranquille,
elle vient : d'un à l'autre mot tu es plus vieux.

(L'Effraie, éditions Gallimard)

Ce sonnet est commenté par Jean-Michel Maulpoix sur son (beau) site.

Cocteau : "le poète est un médium"

Cocteau parle d'Apollinaire, de Picasso... sur une archive de l'INA (première partie, deuxième partie)

samedi 17 mars 2007

Rimbaud

Vous pouvez lire et écouter Le Dormeur du val de Rimbaud sur le blog de chuu-kyuu.
Ici

jeudi 15 mars 2007

Pour le 24 : Henri Michaux et Francis Ponge

L'animal mange-serrure

Dans les couloirs de l'hôtel, je le rencontrai qui se promenait avec un petit animal mange-serrure.
Il posait le petit animal sur son coude, alors l'animal était content et mangeait la serrure.
Puis il allait plus loin et l'animal était content et une autre serrure était mangée. Et ainsi de plusieurs et ainsi de quantité. L'homme se promenait comme quelqu'un dont le "chez soi" est devenu considérable. Dès qu'il poussait une porte une nouvelle vie commençait pour lui.
Mais le petit animal était si affamé de serrures que son maître devait bientôt ressortir à la recherche d'autres effractions, si bien qu'il trouvait peu de repos.
Je ne voulus pas faire alliance avec cet homme, je lui dis que moi ce que je préférais dans la vie, était de sortir. Il eut un grand regard blanc. Nous n'étions pas du même bord, voilà tout, sans quoi j'aurais fait alliance avec lui. Il me plaisait sans me convenir.

Extrait de Lointain intérieur, 1938

Henri Michaux, Sans titre , 1965
Mon Roi
Dans ma nuit, j'assiège mon Roi, je me lève progressivement et je lui tords le cou.
Il reprend des forces, je reviens sur lui, et lui tords le cou une fois de plus.
Je le secoue, et le secoue comme un vieux prunier, et sa couronne tremble sur sa tête.
Et pourtant, c'est mon Roi, je le sais et il le sait, et c'est bien sûr que je suis à son service.
Cependant dan sla nuit, la passion de mes mains l'étrangle sans répit. Point de lâcheté pourtant, j'arrive les mains nues et je serre son cou de Roi.
Et c'est mon Roi, que j'étrangle vainement depuis si longtemps dans les secret de ma petite chambre ; sa face d'abord bleuie, après peu de temps redevient naturelle, et sa tête se relève, chaque nuit, chaque nuit.
Dans le secret de ma petite chambre, je pète à la figure de mon Roi. Ensuite j'éclate de rire. Il essaie de montrer un front serein, et lavé de toute injure. Mais je lui pète sans discontinuer à la figure, sauf pour me retourner vers lui et éclater de rire à sa noble face, qui essaie de garder de la majesté.
C'est ainsi que je me conduis avec lui ; commencement sans fin de ma vie obscure.
Et maintenant je le renverse par terre, et m'assied sur sa figure. Son auguste figure disparaît ; mon pantalon rude aux tâches d'huile, et mon derrière -puisque enfin c'est son nom- se tiennent sans embarras sur cette face faite pour régner.
Et je ne me gêne pas, ah non, pour me tourner à gauche et à droite, quand il me plaît et plus même, sans m'occuper de ses yeux ou de son nez qui pourrait être dans le chemin. Je ne m'en vais qu'une fois lassé d'être assis.
Et si je me retourne, sa face imperturbable règne, toujours.
Je le gifle, je le gifle, je le mouche ensuite par dérision comme un enfant.
Cependant il est bien évident que c'est lui le Roi, et moi son sujet, son unique sujet.
A coup de pied dans le cul, je le chasse de ma chambre. je le couvre de déchets de cuisine et d'ordures. Je lui casse la vaisselle dans les jambes. Je lui bourre les oreille de basses et pertinentes injures, pour bien l'atteindre à la fois profondément et honteusement, de calomnies à la Napolitaine particulièrement crasseuses et circonstanciées, et dont le seul énoncé est une souillure dont on ne peut plus se défaire, habit ignoble fait sur mesure : le purin vraiment de l'existence.
Eh bien il me faut recommencer le lendemain.
Il est revenu ; il est là. Il est toujours là. Il ne peut pas déguerpir pour de bon. Il doit m'imposer sa maudite présence royale dans ma chambre déjà si petite. (...)

Extrait de La Nuit remue, 1935

Pour le 24 : Francis Ponge et Henri Michaux

Vous pouvez écouter le début de sa Radioscopie (émission de Jacques Chancel sur France Inter) et le début de son passage à Apostrophes à l'occasion de la sortie de son livre "Comment une figue de paroles et pourquoi".
Au cours de cette émission, Roger Planchon lit La Bougie.



LA BOUGIE

La nuit parfois ravive une plante singulière dont la lueur décompose les chambres meublées en massifs d’ombre.

Sa feuille d’or tient impassible au creux d’une colonnette d’albâtre par un pédoncule très noir.

Les papillons miteux l’assaillent de préférences à la lune trop haute, qui vaporise les bois. Mais brûlés aussitôt ou vannés dans la bagarre, tous frémissent aux bords d’une frénésie voisine de la stupeur.

Cependant la bougie, par le vacillement des clartés sur le livre au brusque dégagement des fumées originales encourage le lecteur, - puis s’incline sur son assiette et se noie dans son aliment.
On discutera aussi de cet autre poème extrait du même recueil (Le Parti-pris des choses, 1942)
LE CAGEOT

A mi-chemin de la cage au cachot la langue française a cageot, simple caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr une maladie.
Agencé de façon qu'au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il ne sert pas deux fois. Ainsi dure-t-il moins encore que les denrées fondantes ou nuageuses qu'il enferme.
A tous les coins de rues qui aboutissent aux halles, il luit alors de l'éclat sans vanité du bois blanc. Tout neuf encore, et légèrement ahuri d'être dans une pose maladroite à la voirie jeté sans retour, cet objet est en somme des plus sympathiques - sur le sort duquel il convient toutefois de ne s'appesantir longuement.
On discutera aussi de Comment une figue de paroles et pourquoi (1977)

Les paroles sont toutes faites et s'expriment : elles ne m'expriment point. C'est alors qu'enseigner l'art de résister aux paroles devient utile, l'art de ne dire que ce qu'on veut dire, l'art de les violenter et de les soumettre. Donnez tout au moins la parole à la minorité de vous-mêmes. Soyez poètes. ("Rhétorique", 1935, in "Le Parti pris des choses")

Raymond Queneau

Vous pouvez écouter et regarder Raymond Queneau dans une archive de l'INA (cliquez sur l'image ci-dessous)Il est interrogé par Pierre Dumayet dans l'émission Lecture pour tous, le 10 mars 1965 pour la sortie de son recueil de poèmes "Le Chien et la mandoline".
Au cours de l'interview, il dit Art Popo.



ART POPO

C'est mon po - c'est mon po - mon poème
Que je veux - que je veux - éditer
Ah je l'ai - ah je l'ai - ah je l'aime
Mon popo - mon popo - mon pommier

Oui mon po - oui mon po - mon poème
C'est à pro - à propos - d'un pommier
Car je l'ai - car je l'ai - car je l'aime
Mon popo - mon popo - mon pommier

Il donn'des - il donn'des - des poèmes
Mon popo - mon popo - mon pommier
C'est pour ça - c'est pour ça - que je l'aime
La popo - la popomme - au pommier

Je la sucre - et j'y mets - de la crème
Sur la po - la popomme - au pommier
Et ça vaut - ça vaut bien - le poème
Que je vais - que je vais - éditer

Pierre Dumayet lit aussi le début de "La chair chaude des mots"

La Chair chaude des mots

Prends ces mots dans tes mains et sens leurs pieds agiles
Et sens leur coeur qui bat comme celui du chien
Caresse donc leur poil pour qu'ils restent tranquilles
Mets-les sur tes genoux pour qu'ils ne disent rien

Une niche de sons devenus inutiles
Abrite des rongeurs l'ordre académicien
Rustiques on les dit mais les mots sont fragiles
Et leur mort bien souvent de trop s'essouffler vient

Alors on les dispose en de grands cimetières
Que les esprits fripons nomment des dictionnaires
Et les penseurs chagrins des alphadécédets

Mais à quoi bon pleurer sur des faits si primaires
Si simples éloquents connus élémentaires
Prends ces mots dans tes mains et vois comme ils sont faits


Biographie de R. Queneau

lundi 12 mars 2007

Cocteau : Le Sang d'un poète



dimanche 11 mars 2007

Peinture romantique, Nerval

M. Ito m'a envoyé une série de reproduction de peintures de l'époque romantique.
Vous pouvez les voir ici.

Voici d'autres adresses :
La peinture romantique

Une définition du Romantisme (Kenneth White, Préface au Voyage à l'île de Rügen sur les traces de Caspar David Friedrich)
"...l'être humain est conçu moins comme membre d'une société que comme habitant du cosmos. C'est pour cela que, dans les peintures de Caspar David Friedrich, la figure centrale a presque toujours le dos tourné : le face-à-face humain cède à une contemplation de la nature — du chaos, des éléments du vide."
Quelques peintres romantiques
Caspar David Friedrich
Géricault
Delacroix


Nerval et la peinture
D'après Théophile Gautier (site BNF), Nerval n'avait pas de goût particulier pour la peinture.

"[Nerval] était parmi nous, écrit Théophile Gautier, le seul lettré dans l'acception où se prenait ce mot au milieu du XVIII siècle. Il était plus subjectif qu'objectif, s'occupait plus de l'idée que de l'image, comprenait la nature un peu à la façon de Jean-Jacques Rousseau, dans ses rapports avec l'homme ; n'avait qu'un goût médiocre aux tableaux et aux statues [...]."

Un autre poème de Nerval où le soleil est associé au noir


Le point noir


Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l'air, une tache livide.
Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux,

Sur la gloire un instant j'osai fixer les yeux :
Un point noir est resté dans mon regard avide.
Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s'arrête mon œil,

Je la vois se poser aussi, la tache noire ! -
Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !
Oh ! c'est que l'aigle seul - malheur à nous, malheur !
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.



lundi 5 mars 2007

Écoutez

Deux sites où l'on peut écouter de la poésie, le plus souvent contemporaine, et des voix de poètes.

• Radio Marelle : par exemple le 18 janvier, Régis Jauffret


powered by ODEO


Poésie sur parole sur France-Culture. Par exemple Lionel Ray le 4 mars.
Avec "L'Invention des bibliothèques : les poèmes de Laurent Barthélemy", Lionel Ray semble mener une expérience hétéronymique qui n'est pas sans rappeler Pessoa. Lui qui est né Robert Lhoro et a pris le pseudonyme de Lionel Ray en 1970, à l'occasion de la publication de poèmes présentés par Aragon dans Les Lettres Françaises, propose sous le masque d'un nouveau "double", Laurent Barthélemy, une relecture de ses propres poèmes écrits entre 1969 et 2004.
"En automne 2001, une revue, non des moindres, publia douze textes ou séries de textes d'écrivains plus ou moins notoires, qui se dissimulaient "sous pseudo". Invité à participer au jeu je choisis d'être un "autre", ni proche ni lointain, une présence neutre en quelque sorte, inscrite en voisin au miroir déformant de quelques pages." Ainsi est née l'aventure...
Deux poèmes lus par l'auteur, au cours de cette émission

powered by ODEO


powered by ODEO

jeudi 1 mars 2007

Marie Laurencin, Horiguchi Daigaku

Monsieur Ito m'a appris que la NHK avait diffusé une émission sur Horiguchi Daigaku (1892-1981). Il a vécu en France. C'est lui qui a traduit en français Kokoro de Soseki Natsume.
Il a également traduit un poème de Marie Laurencin.
j'ai trouvé cette information sur le blog très instructif d'un enseignant et traducteur brésilien, The Pillow Blog. Si vous cliquez sur ce lien, vous verrez que le premier "post" s'intitule "Vois-tu, je sais que tu m'attends". Vous savez tous maintenant d'où viennent ces mots. Je donne souvent les premier vers de ce poème en dictée aux deuxième année, tout le monde écrit :
" Demain, des robes, alors où branchit la campagne,
Je partirai. Voiture, je sais que tu m'as tant" (!)
J'arrête de me moquer. Voici le poème original de Marie Laurencin et sa traduction par Horiguchi Daigaku.
LE CALMANT
Marie Laurencin

Plus qu'ennuyée
Triste.
Plus que triste
Malheureuse.
Plus que malheureuse
Souffrante.
Plus que souffrante
Abandonnée.
Plus qu'abandonnée
Seule au monde.
Plus que seule au monde
Exilée.
Plus qu'exilée
Morte.
Plus que morte
Oubliée.

La célèbre peinture de Marie Laurencin , que j'avais déjà reproduite...
... représente Guillaume Apollinaire, Pablo Picasso, Fernande Olivier, Marie Laurencin et Fricka, le chien de Picasso (ou plutôt la chienne ? "Picasso's dog Fricka"). La toile a été achetée par Gertrude Stein. C'était la première vente de Marie Laurencin.
Je n'ai rien découvert sur Fricka, mais j'ai trouvé ce portrait de Fernande Olivier par Van Dongen (Musée de Montpellier).